Crise à Mayotte, le retour de boomerang d’une politique depuis
longtemps inacceptable
« Mayotte asphyxiée ! » « Vols, agressions et meurtres au quotidien »
« Climat de psychose installé », « Système de santé débordé » « Écoles
surchargées = enfants en danger = délinquance juvénile et chômage en
masse ». Voici quelques formules proclamées le dimanche 15 mai 2016 par
une centaine d’habitants du village de Bouéni, au sud de l’île, et par
d’autres à Koungou, au nord de l’île. Leur tract appelle à une opération
d’expulsion « des clandestins » qu’il qualifie de « pacifique ».
Depuis le mois de janvier, des collectifs villageois organisent ces
expulsions visant les personnes d’origine comorienne qualifiées
d’« étrangères », qu’elles soient sans papiers, titulaires d’un titre de
séjour ou même de nationalité française. Ces opérations inacceptables
sont annoncées une ou plusieurs semaines à l’avance, et pourtant ni la
mairie ni la préfecture ne s’y opposent. Les habitations précaires de
ces personnes sont parfois détruites ou brûlées, ainsi que leurs biens,
les obligeant à fuir et à camper hors du village. Lors de ces
manifestations, les forces de l’ordre, présentes sur place, non
seulement n’interviennent pas pour stopper ces expulsions, mais mènent
en amont et en aval de celles-ci des opérations de contrôle des étrangers.
À Mayotte, la violence sociale dénoncée est bien réelle, mais ces
mouvements se trompent de cible. Les personnes étrangères y sont
devenues les boucs-émissaires d’une situation économique et sociale
désastreuse résultant d’une politique discriminatoire à l’égard de tous
les habitants de l’île.
Cinq ans après sa départementalisation, Mayotte subit encore un régime
d’« infra-droit » social et économique. Ce 101ème département français
souffre d’inégalités criantes vis-à-vis de la métropole, et ce dans tous
les domaines. Dans ce contexte économique et social extrêmement dégradé,
l’île a d’ailleurs été bloquée début avril par une grève générale
revendiquant « l’égalité réelle » avec les autres départements.
Quant aux étrangers qui vivent à Mayotte ou qui tentent d’y entrer, ils
subissent eux aussi un « infra-droit » qui les prive des garanties
juridiques qu’ils auraient en métropole et qui permet notamment chaque
année 20 000 expulsions expéditives. Depuis 1994, les habitants des
autres îles de l’archipel des Comores sont en effet devenus des
étrangers soumis à un visa pour se rendre à Mayotte, qui voit ainsi
coupés ses liens avec le reste de l’archipel. Cette politique n’a
évidemment pas jugulé des pratiques de circulation ancestrales, et a
simplement plongé dans la précarité celles et ceux qui continuent et
continueront de les exercer.
Les événements en cours risquent de n’être que les préludes à des
atteintes plus graves aux droits et à la sécurité des étrangers vivant à
Mayotte si aucune solution n’est apportée à cette situation sociale et
économique désastreuse. L’action des forces de l’ordre et le discours
des autorités ne doivent pas permettre de conforter ces agissements
illégaux par un amalgame intolérable entre « immigration » et
« délinquance », mais les empêcher et les condamner fermement.
Les associations membres du réseau MOM, demandent aux pouvoirs publics
de respecter l’état de droit, de rétablir une circulation normale au
sein de l’archipel, et de prendre rapidement des mesures pour améliorer
les conditions de vie et mettre fin aux inégalités dont tous les
habitants de Mayotte sont victimes. Cette crise ne peut se réduire ni se
régler par la maltraitance et l’expulsion de personnes étrangères.
23 mai 2016
*Collectif Migrants outre-mer*
www.migrantsoutremer.org <http://www.migrantsoutremer.org>