Bolloré, « c’est une poule qui mange chez toi, et pond ses œufs chez le voisin »

Ces propos de paysans camerounais sont relayés par un activiste, devant l’assemblée générale du groupe Bolloré, le 3 juin à Puteaux. Des chaines humaines citoyennes se dressent aux portes de l’empire Bolloré, protestant contre l’exploitation abusive des terres de Sierra Leone, Côte d’Ivoire, Libéria, Cameroun…

3 juin, devant l'AG des actionnaires Bolloré : "Pas de bénéfices sans responsabilités"
AG des actionnaires du groupe Bolloré : « Pas de bénéfices sans responsabilités », et : « Attention entreprise méchante » Photo : Nuitdebout

Devant les bâtiments siglés HAVAS, machine de Com’ du groupe Bolloré, un rassemblement hétéroclite a convergé vendredi aux aurores, à l’appel de l’ONG ReAct, Réseau pour l’action collective transnationale. Des ressortissants d’Afrique de l’Ouest et de Madagascar, des membres de l’UDC (organisation panafricaine), de la Confédération Paysanne, de l’association SURVIE, d’ATTAC, de la Nuit Debout, ont été alertés par différents canaux. Ils ont réussi à obstruer les trois accès de l’assemblée des actionnaires. Parmi les slogans visibles, « Pas de bénéfices sans responsabilités »

80% de ses bénéfices, le groupe Bolloré les fait en Afrique, notamment via la holding Socfin qu’il détient à hauteur de 38.7%. La Socfin gère des immenses plantations dédiées à l’huile de palme et d’hévéas, qui empiètent sur la forêt équatoriale. Selon les ONG, ses marges bénéficiaires se font au prix de conditions de travail inhumaines, et d’accaparement de terres paysannes sans compensation. En 2006, l’ONU décrit les méthodes en cours au Libéria* : « travail d’enfants de moins de 14 ans, utilisation de produits cancérigènes, interdiction des syndicats, licenciements arbitraires, maintien de l’ordre par des milices privées, expulsion de 75 villages ».

(*) : au Libéria, Bolloré opère via la filiale LAC, en cause dans cette citation de l’ONU

BlueSolutions, marque africaine du groupe Bolloré. Photo @NuitDebout
BlueSolutions, marque africaine du groupe Bolloré. Photo @NuitDebout

Les revendications de ReAct restent mesurées : que la Sacfin respecte ses engagements initiaux au Cameroun. Accès à l’eau potable, à la santé, concession de terrains pour conserver une certaine autonomie alimentaire… Pourtant, Bolloré se réfugie derrière son statut d’actionnaire minoritaire de la holding. Une minorité de 39%, qui supplante tous les autres actionnaires, comment croire qu’il n’y exerce pas une influence prépondérante ?

Le camerounais Paul Biya a une longévité exceptionnelle : 33 ans de présidence, réélu six fois. Les prisons de son pays accueillent régulièrement les opposants gênants. DirectSoir, journal fondé par Bolloré, n’est pas du genre à mentionner les rapports inquiétants d’Amnesty International sur Paul Biya. Pourtant, les unes de chefs d’états africains y sont courantes. La démocratie n’est pas le souci de Bolloré, il fait du business.

L’assemblée générale est une occasion de le lui rappeler, faute de mieux.

Deux mondes se frottent

Au contact de la barrière humaine, un actionnaire frustré admoneste : « Ce que vous faites, ça ne sert strictement à rien, sinon de mettre dans la tête des gens de mon âge des soucis en plus. ». L’homme âgé s’exprime avec l’accent condescendant du XVIème arrondissement, ses soucis personnels semblent primer sur ceux des paysans et ouvriers africains. Il nous conseille « d’écrire nos messages aux journalistes », nous lui rappelons l’état de la presse “libre“ à la sauce Bolloré, puis il force le passage avec l’aide d’un policier sous les airs scandés de « Bolloré Voleur, Actionnaires Complices ».

Du côté de la porte sud, où nous sommes appelés en renfort, les propos contestataires reprennent: « Ils financent les criminels, pour les intérêts de la France. Paul Kagamé c’est un criminel, Kabila c’est un criminel. Après ils vont nous distraire avec l’immigration ! ». L’indignation monte d’un cran, pour les militants qui ont des attaches en Afrique. Messages qui alternent avec des formes légères. Sur une mélodie de Piaf, Milord, « Allez venez dehors, vous asseoir avec nous…», les actionnaires sont invités à une autre table de négociations, la nôtre. Un salon bien moins confortable. Un couple de petits actionnaires à la retraite, démunis face à l’inattendue situation, écoutent enfin quelques-uns de nos arguments. Nous tentons de les persuader de poser une question en AG, sans trop y croire : ils sont trop humbles pour prendre la parole devant Monsieur Bolloré ; et pas prêts à venir s’entrainer aux AG place de la République.

D’autres petits porteurs sont carrément énervés de ne pouvoir écouter leur mentor. L’altercation finit par des invectives de mépris vis à vis de l’Afrique. L’esprit colonialiste a la dent dure. Bref, la prise de contact est difficile, les résultats incertains. Une petite victoire tout de même : le patron a du s’excuser auprès de ses actionnaires pour les perturbations. S’il s’excusait auprès des paysans et ouvriers spoliés ou exploités, ce serait mieux. S’il tenait ses engagements, ce serait encore mieux. Face à un tel pouvoir industriel, financier et politique, la lutte va être longue.

La première bonne nouvelle de ce rassemblement, c’est l’alliance entre des citoyens très divers, des collectifs très divers, des modes de communication et d’actions complémentaires.

Une moins bonne est qu’il y a eu deux interpellations, dont une garde à vue prolongée. La France dérive petit à petit vers une répression des opposants, qui, si elle exclue encore la torture, se rapproche les méthodes de Paul Biya au Cameroun. Mais après tout, Paul Biya n’est-il pas un bon élève de l’école française ?

Ces convergences de méthodes étatiques délétères, pourraient aussi amener plus de citoyens français vers une cause commune des peuples africains et français. Reste du boulot, mais une dynamique s’enclenche.

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