De Thomas More à Nuit debout

Voilà juste cinq cents ans, en 1516, l’humaniste anglais Thomas More publiait L’Utopie. Dans ce récit de voyage dans un pays imaginaire, il décrivait une société qui, sans être idéale, fonctionnait bien mieux que celle de son temps, qu’il dénonçait avec virulence. Il inventait en même temps un mot, « utopie », tiré du grec, désignant, aussi bien un pays de nulle part qu’un pays de bonheur. Thomas More concluait sa description par ces mots : « Je le souhaite plus que je ne l’espère. » C’est là le sens du mot utopie le plus courant : un projet souhaité, mais irréalisable. Tel fut en effet le lot de beaucoup d’utopies littéraires.

Bientôt cependant, les « utopistes » projetèrent leurs rêves non pas dans un ailleurs improbable, mais dans un avenir plus ou moins lointain. Dès lors, l’utopie pouvait prendre un autre sens : irréalisable aujourd’hui, mais réalisé demain. Les XVIIIe et XIXe siècles, avec l’idéologie du progrès des Lumières, les révolutions politiques américaine et française et la révolution industrielle, ouvraient les champs du possible.

De nombreux « utopistes » les ont explorés, qui tentèrent de mettre en pratique, dans de petites communautés, leurs rêves de société égalitaire et organisée face aux désordres ressentis de la nouvelle société industrielle. Si ces communautés furent la plupart du temps un échec, les idées multiples de ces utopistes fécondèrent les courants qui s’imposèrent par la suite : socialisme réformiste, marxisme, anarchisme, coopérativisme, économie sociale et solidaire… C’est là qu’est l’essentiel de leur héritage.

Par la suite, les projets de sociétés utopistes « clés en main » ont pâti de la perte de confiance dans le progrès, en particulier les progrès scientifiques et leurs applications terrifiantes. Ils ont aussi pâti de leurs dérives totalitaires, nazisme et stalinisme. Résultat : ce sont plutôt des contre-utopies qui décrivent le « meilleur des mondes ».

Aujourd’hui, la nécessité de proposer des alternatives à une société dont les dégâts humains et environnementaux sont insupportables fonde le désir « d’utopies concrètes », expérimentées localement au Nord comme au Sud. La multiplication de ces initiatives, chacune reproductible ou pas à une large échelle, dessine les contours d’une autre société. Une société qui appelle aussi un renouvellement démocratique, comme en témoignent les forums citoyens des Indignés espagnols, d’Occupy Wall Street à New York en 2011 et, depuis le début du printemps, de Nuit debout en France.

Grard Vindt
Alternatives Economiques n° 359 –
juillet 2016



De Thomas More à Nuit debout.

Source: De Thomas More à Nuit debout

Classé dans Non classé

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *