Lettre ouverte aux #NuitDebout depuis les quartiers d’Internet des Indignados

Très cher(e)s citoyen(ne)s des #NuitDebout,

Mon français est un peu rouillé, vous m’excuserez les fautes d’orthographe et les mots inventés, mais en voyant comment on essaye de vous manipuler et les inexactitudes que la presse raconte par rapport à notre expérience en Espagne, je me suis décidée à vous écrire.

Ce que vous faites nous arrive déformé par les médias, exactement comme cela nous arrivait pendant le 15M des Indignados et comme ça arrive à toute r-évolution.

Je vous écris pour vous faire parvenir des notes que j’ai recueilli  le long de mon expérience, dans l’espoir qu’elles puissent vous être utiles pour esquiver les pièges dans lesquels nous sommes tombés et que vous puissiez aller plus loin que nous :

– Tôt ou tard, il est inévitable qu’un bon nombre de vous arrive à la conclusion que nous devons conquérir les institutions, non pas dans le sens de nous y intégrer, sinon dans l’idée de pouvoir nous, les citoyen(ne)s, nous gouverner.

Nous ne pouvons pas nous gouverner réellement depuis les places et nous ne pouvons pas laisser dans les mains du système les structures et l’argent qui nous permettent de gérer nos vies (travail, logement…) et les ressources communes (écoles, hôpitaux, énergie, sécurité, infrastructures…).

Donc tôt ou tard, il faudra inévitablement parler de quel dispositif on organise pour conquérir les postes de contrôle et qui doit les gérer.

– Pour cela, je veux vous parler de ce que vous pouvez percevoir de notre expérience en Espagne. L’image que vous en avez est sûrement très contaminée par l’image omniprésente de Podemos. Très clairement Podemos ne doit être ni un but ni un exemple à suivre. Podemos ne représente pas la transformation du 15M espagnol, même si il s’en est nourri. Non seulement ce n’est pas un exemple à suivre, sinon que c’est le pire qui pouvait nous passer au 15M des Indignados.

C’est normal que ce ne soit pas un exemple : dans sa grande majorité, ses fondateurs n’étaient pas sur les places au moment où le 15M s’est déroulé et ils n’ont rien compris aux places.

 

Image de bigdata qui montre que Podemos n'était pas là
Image de bigdata qui montre que Podemos n’était pas là

 

– La force des r-évolutions comme #NuitDebout ou le 15M des Indignados est :

(1) la décentralisation et la forme distribuée des prises des décisions et du leadership qui est selon nos compétences et non selon notre visibilité médiatique ; les nouvelles formes dépasseront les faiblesses de l’horizontalité assembléaire et se transformeront en réseaux ;

(2) notre capacité – bien supérieure aux institutions et aux partis politiques – de résoudre les problèmes concrets avec des solutions concrètes que viennent des expériences et capacités spécifiques de chacun(e) d’entre nous, et non pas des idéologies. C’est une collaboration égalitaire dans la différence, et non une fusion sous un même drapeau, une marque unificatrice. C’est la force de la fédération dans la diversité ;

(3) la responsabilité partagée : nous voulons des sociétés adultes qui n’ont plus besoin d’un papa que l’on suit fanatiquement quoi qu’il dise. Ou encore – et cela revient au même – un leader qui serait là pour que l’on représente son courant critique « interne » au système et qu’on le légitime « démocratiquement » par notre dissensus. Cela nous l’avons déjà, nous sommes déjà le courant critique d’un système qui ne marche pas.

Nous, les citoyen(ne)s, regroupé(e)s par groupes de capacités, intérêts et compétences, nous pouvons mener la gouvernance de notre vie commune.

Je résume:

– décentralisation

– fédération – non unification

– diversité – non uniformité

– responsabilité

Que certain(e)s veulent des structures comme Podemos n’a rien de nouveau : ils veulent coopter nos efforts collectifs pour gérer le pouvoir eux-mêmes et nous renvoyer à la maison.

La gauche dogmatique a toujours fait cela, ce n’est en rien nouveau. En Espagne le parti socialiste l’a fait après la dictature ; puis Izquierda Unida et maintenant ceux qui veulent envoyer à la maison les Indignados ce ne sont pas que les CRS, c’est aussi Podemos.

C’est une bonne chose d’abandonner les places pour aller ailleurs : dans les quartiers, dans les lieux de travail, sur internet, dans les tribunaux, en Europe, là où l’on doit être pour lutter (on ne peut pas rester éternellement sur les places). Mais c’est l’organisation de nos luttes qui ne peut « rentrer à la maison ». Dans ce sens, les Podemos peuvent faire plus de dégâts que les CRS.

Par contre ce que nous pouvons construire ce sont des réseaux de leadership par compétence (groupes/nœuds sur des sujets comme la justice au travail, le logement, l’éducation, l’économie…) dans lesquels un des nœuds se charge de la gestion des institutions. C’est la forme du non-parti, le contraire d’une structure qui veut tout embrasser.

Cela veut dire qu’un parti politique n’est qu’un nœud parmi les autres, pas plus important que les autres et surtout pas responsable des sujets dont il n’a pas d’attribution. Les « partis » ne doivent être que les employés de l’accès aux institutions des solutions que les groupes de compétences gèrent.

Ces formes en Espagne existent. La première et ma préférée  – car j’ai contribué à sa création 🙂 – est le Parti X (http://partidoX.org). Mais dans un chemin similaire vous trouverez EnComu, qui gouverne Barcelone, la Marea en Galice; la CUP en Catalogne et bien d’autres.

Ce sont des formes qui proposent d’occuper les institutions au service d’une société active, organisée et mobilisée, qui ne perd pas ses identités et qui met en place directement ses solutions au sein d’une gouvernance.

Pas de fausse participation digitale (opium du peuple), mais une vraie participation des organisations citoyennes par voie de terre, de mer, dans les airs, et aussi, bien sûr, sur les réseaux. Le tout sans médiation du parti.

Les structures comme Podemos représentent exactement le contraire, mais elles surgissent plus facilement parce que le système les adore. Quand on le bouleverse radicalement, il a besoin de ces structures pour que tout retourne à sa place.

Podemos ne reconnait aucun groupe de la société civile qui n’ai pas accepté s’affilier. Il les efface du discours et s’approprie leur travail. Le résultat serait la même situation d’avant :

Un procès r-évolutionnaire qui retourne au système en forme de parti -> un parti qui fait semblant d’être un mouvement, mais qui est centralisé, uniforme et basé sur le manque d’esprit critique d’une large majorité passive et dépendante. Rien de nouveau.

Pour cela, je crois que la seule échelle possible des luttes des nouvelles r-évolutions est la combinaison égalitaire de groupes qui se chargent d’entrer dans les institutions – et qui ne s’occupent que de ça, avec des groupes de la société civile organisée autour des différentes solutions.

Malgré que Podemos essaye de tout étouffer à travers une présence médiatique constante et monolithique (Podemos est principalement un produit télé), le 15M continue en Espagne dans des villes comme Barcelone, La Coruña, Madrid et beaucoup d’autres, où plusieurs camarades que nous avons placé dans des institutions conquises permettent à la société civile de mettre en place des solutions aux problèmes collectifs à travers de groupes comme la PAH (Plateforme des affectés par l’hypothèque sur le sujet du logement) ou 15MpaRato (sur le sujet de la corruption).

L’effort est grand parce que Podemos et l’image que la presse en fait, empêche notre propre opinion publique de voir tout ce qui avance vraiment grâce au 15M. Nous avons de nouvelles politiques de logement, de transparence, de dette publique, on avance sur les thèmes de la santé, on a fait sauter des réseaux de corruption institutionnelle…

Mon désir est que vous ne laissiez pas un Podemos voler votre imaginaire et vos actions pour les enfermer à nouveau dans les corsages du leader magnifique et du peuple adolescent. C’est pour cette raison que je me suis permise de m’adresser à vous.

Force à toutes et à tous pour la lutte : on a pas fini et on y arrivera.

Simona Levi

Traduit et publié en accord avec Simona Levi.

@X_Net_

https://xnet-x.net/en/quienes-somos/#simona-levi

Lien en espagnol:

http://ctxt.es/es/20160511/Firmas/6012/15M-NuitDebout-Izquierda-Unida-Podemos-España-Tribunas-y-Debates-Cincoañosdel15M.htm

 

Source: Lettre ouverte aux #NuitDebout depuis les quartiers d’Internet des Indignados

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Une réponse à “Lettre ouverte aux #NuitDebout depuis les quartiers d’Internet des Indignados

  1. Bonjour à vous autres qui êtes Nuit Debout, et qui cherchez, et qui trouvez des contributions venues de tous les horizons, des « horizons debout ».. Cette contribution de Simona Levi concrétise un peu tout ce que je pense que nous pouvons mettre en oeuvre, afin de ne nous perdre pas dans les méandres et les « sables mouvants » qui nous entourent.. Et des méandres et des « sables mouvants », nous en avons en nous, qui pourraient nous incliner à des facilités délétères. Nous nous devons de nous creuser nos méninges personnelles, et celles de nous toutes et tous, collectivement, collégialement; le but est de tenir dés aujourd’hui, et demain par nous-mêmes, pour nous-mêmes, et avec nous-mêmes.. Comment ont fait et font encore les tribus amérindiennes dans toute l’Amérique? Et les tribus de Russie, d’Asie, qui n’ont pas de chef mais dont les « chefs » ne sont que l’idéal de vie et d’existence qui les guident, les font tenir face à toutes les adversités.. Méfions-nous des dieux et des maîtres.. Il y a aussi ce qu’a longuement expliqué Geoffroy, dans un bel article que vous avez publié dans vos colonnes, il y a deux jours.. Voyez la masse de boulot qui nous attend, qui vous attend.. Se gouverner soi-même est compliqué, eu égard à notre nature à nulle autre pareille; à fortiori, gouverner toute la diversité de « Nuit Debout ».. Que chacune et chacun commence par soi-même, tout en s’impliquant simultanément autour de soi, à la manière des neurones qui ont chacun leur spécificité selon leur « site », et qui qui interagissent centralement et périphériquement pour le fonctionnement harmonieux de tout l’ensemble.. Apprenons à ne prélever et ne faire que ce qui nous suffit et qui nous est nécessaire au quotidien, tout en nous respectant nous-mêmes et en respectant l’Autre; cet Autre qui est nous-mêmes et que nous sommes en retour; je suis l’Autre, et l’Autre c’est moi.. Comme nous sommes la Biodiversité, et la Biodiversité c’est nous; nous le voyons bien, en ces temps de grandes incertitudes climatiques, et les désordres que nous provoquons. Notre drame? Homo sapiens sapiens s’est institué comme étant la mesure de tout, et au-dessus de tout sur La Terre.. Tout se tient, tout est intimement lié.. Simple et compliqué.. Moi, je suis « Nuit Debout » et suis vents debout.. « Et cependant, Elle tourne.. » Cordiales et fraternelles salutations..

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