Église Saint-Nicaise squattée, à Rouen. Reportage avec les Nuit debout

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Les « communards » de l’église Saint-Nicaise, à Rouen (Seine-Maritime), déterminés à poursuivre leur lutte. (© Élodie Armand/Normandie-Actu)

Occupée officiellement depuis le jeudi 5 mai 2016, l’église Saint-Nicaise, située rue des Requis, à Rouen (Seine-Maritime), arbore une banderole rouge : «Vive la commune ». Ultime provocation face à la menace d’expulsion qui pèse sur les militants de Nuit debout depuis le 13 mai 2016 ? Pas seulement. Les « communards » entendent dépasser l’idée. Et surtout continuer la lutte. Un projet en chantier à l’image du lieu.

Une porte d’entrée dans la vie publique

Ne prenez pas ces images, tout est encore en travaux. On s’organise pour que tout soit prêt pour le 6 juin.

À première vue, c’est le bazar. Des palettes sont posées contre des murs tandis que les gens se claquent des bises autour des deux tables installées dans la cour intérieure. Les allées et venues semblent anarchiques.

On a un gros projet, on veut créer un lieu de vie alternatif. Montrer que l’on est capable de s’autogérer. Ici, c’est un lieu culturel, un lieu social et un lieu de lutte. Oui, nous sommes en lutte, affirme Juliette*, 20 ans.

La jeune femme est animatrice et habite le quartier. Engagée dans le mouvement Nuit debout depuis le 31 mars 2016, elle jongle entre ses obligations professionnelles en milieu de journée, sa vie de couple, et son implication dans l’organisation de la «commune Saint-Nicaise ». Le nom fait bien entendu référence à la Commune de Paris qui s’est tenue du 18 mars au 27 mai 2016. À cette époque, des ouvriers de Paris s’organisaient pour assurer la gestion des affaires publiques sans recours à l’État. Nuit debout est né d’un mouvement contestataire pour protester contre la loi Travail. Si de nombreux membres sont impliqués syndicalement, d’autres l’ont rejoint sans passé activiste.

Nuit debout est l’opportunité d’agir, on parle ici de convergence des luttes. J’avais du mal à m’intégrer dans une vie sociale active. Nuit debout me permet d’aller sur tous les terrains, explique Pierre*, 24 ans.

Un autogestion du site

Au quotidien, une dizaine de personnes dorment dans des dortoirs aménagés au sein de l’ancien presbytère. Ils y ont élu domicile pour assurer une surveillance constante du site et empêcher les dégradations dans l’église.

On ouvre au public de 10h à 18h. Les parties communes, comme la cuisine, les toilettes et les dortoirs, ne sont accessibles qu’à partir de midi pour que les gens puissent avoir leur moment d’intimité et prendre leur petit déjeuner au calme, montre Juliette.

Les militants ont procédé à un gros nettoyage, pour « sécuriser les lieux.»

Le principal du collège Fontenelle nous a expliqué qu’ils ont du interdire aux collégiens de sauter le mur. C’était un lieu déjà visité avant notre venue, raconte Thibault*, 26 ans.

De la nourriture et des « trésors » historiques

En faisant l’état des lieux, les militants ont été surpris de découvrir des kilos de pâtes et de conserves : une ancienne soupe populaire organisée ici. Dans l’église, ils ont remisé dans une salle des reliques et objets sacrés. Les statues ont aussi été protégées. L’ancien bâtiment religieux demeure accessible. Un médiéviste, sympathisant riverain et habitant du quartier, étudie une pierre de fondation gravée à la fin du XVe siècle.

C’est grâce aux occupants que j’ai pu entrer dans l’église et mesurer sa richesse et commencer à répertorier les trésors qui ne sont pas dans l’inventaire. Ces pierres de fondation n’y figurent pas. C’est un témoignage doublement exceptionnel puisqu’on a le texte complet en moyen français, mais, en plus, c’est une pierre de fondation survivante, explique Bertrand, docteur ès lettres à l’Université de Rouen, spécialiste du Moyen Âge.

Samedi 14 mai 2016, les militants ont organisé une journée portes ouvertes aux riverains. Depuis, ils reçoivent de nombreux dons, comme des matériaux ou de la nourriture, déposée devant l’entrée. Deux professeurs d’université sollicités ont également organisé deux conférences-débats, dans l’église, sur les raisons de la Commune et la désobéissance civile.

Le téléphone contre les violences policières

Selon Thibault, des architectes et un expert sont passés prendre des mesures pour établir bénévolement des expertises. Ils sont soutenus par Manuel Labbé, élu communiste et adjoint chargé de la vie et initiatives associatives de Rouen, qui passe parfois les voir. L’ambition des militants est de créer un collectif afin de légitimer leur action.
Menacés d’expulsion depuis le 13 mai 2016, sur décision du tribunal administratif, les occupants avouent avoir passé quelques jours difficiles après leur installation. Des fourgons de police ont encerclé le site à deux reprises. D’abord à cause d’une provocation avec le collège voisin, ensuite pour une expulsion, finalement annulée puisque les CRS ont été appelés à déloger le terminal Rubis, le dépôt de carburant qui avait été bloqué au Grand-Quevilly. Dans ces cas-là, la règle d’or est de sortir le téléphone « pour se protéger des violences policières.»

Nous avons demandé à tout le monde de filmer dès qu’il se passe quelque chose. Cela peut nous servir de preuve en cas de bavure policière, si quelqu’un se retrouve en procès. Le téléphone est très dissuasif. Même si l’on ne tourne pas, cela peut modifier le comportement des forces de l’ordre, commente Juliette.

*Les prénoms ont été modifiés

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Source: Église Saint-Nicaise squattée, à Rouen. Reportage avec les Nuit debout

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