Contre-offensive libérale et répressive en Argentine

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Le 4 juillet à l’Élysée, François Hollande a félicité son homologue argentin, Mauricio Macri, pour sa « volonté réformatrice ». En Argentine, la population plonge dans la crise et le mouvement social subit la répression…

Échange de bons procédés. C’était au tour de François Hollande d’accueillir le président argentin, lundi 4 juillet. Avec le même objectif qu’en février dernier, lorsque le président français était venu à Buenos Aires accompagné de trente chefs d’entreprise, les deux chefs d’État se sont mutuellement félicités de la qualité de leur relation.

Depuis l’élection du président libéral, Mauricio Macri, en décembre 2015, l’Argentine effectue son grand retour sur la scène économique internationale. En tournée européenne jusqu’à mercredi, l’Argentin est venu réchauffer les relations avec l’Union européenne. Au programme : rencontre avec François Hollande, Angela Merkel, discussion avec la haute représentante aux affaires étrangères de l’UE, Federica Mogherini mais, aussi, réunion avec Volker Mornhinweg et Herbert Diess – respectivement directeurs généraux de Mercedes Benz et Volkswagen. L’obsession du nouveau président est de rompre avec le protectionnisme de sa prédécesseure Cristina Kirchner.

Une brutale régression sociale

L’ouverture du marché et une politique de réduction des coûts ont précipité des licenciements massifs et la chute vertigineuse des salaires. En avril 2016, trois mois après l’arrivée de Macri à la présidence, 1,4 million de personnes étaient déjà tombées dans la pauvreté, selon l’Observatoire de la dette sociale de l’Université catholique d’Argentine.

« Le marché du travail était déjà traversé par des tensions. Il n’y avait pas de création d’emplois ni d’augmentation réelle de salaires. Durant les premiers mois de l’année, toutes ces tensions se sont résolues aux dépens des travailleurs avec l’augmentation du nombre de licenciement, la chute du taux d’emploi au niveau de la crise mondiale de 2009 et du salaire réel de 8% », analyse Luis Campos, coordinateur général de l’Observatoire du droit social de la Centrale du travailleur d’Argentine (CTA).

En réponse à la crise, les grèves et les journées de mobilisation sociales se sont multipliées depuis la fin décembre, sans parvenir à infléchir la politique du gouvernement. En mai dernier, le président Mauricio a opposé son veto à une loi contre les licenciements injustifiés, alors qu’au moins 108.000 personnes avaient perdu leur travail en trois mois.

Réprimer en criminalisant la révolte

Dans ce contexte de politique agressive contre les droits des travailleurs, l’Observatoire a décidé d’élaborer, pour la première fois, un rapport sur les pratiques antisyndicales. Malgré le caractère inédit de l’étude, le constat est sans appel : la loi ne permet pas de protéger les citoyens lors des mobilisations. Durant les six premiers mois de l’année, le CTA a relevé l’arrestation de trente-cinq dirigeants et membres d’organisations syndicales. « La loi qui protège l’activité syndicale ne couvre pas le type de pratiques antisyndicales que nous avons relevées », explique Luis Campos.

Dans la majorité des cas, les militants sont arrêtés pour des infractions au code pénal : entraves à la circulation des voies publiques, ou délit « d’usurpation » utilisé dans les cas d’occupation et de blocages. Le recours à ce type d’infraction a été largement promu par le gouvernement avec l’approbation, en février, d’un « Protocole sur l’intervention des forces de l’ordre lors des manifestations ».

Ce texte place « l’harmonie sociale », « l’ordre public » et « la libre circulation » au-dessus de l’intégrité physique de quiconque s’y opposera. De plus, il revient sur l’interdiction du port d’armes létales obtenue en 2004 par le gouvernement de l’ancien président Nestor Kirchner. Par ailleurs, les agents de police ne sont pas tenus de porter un uniforme ni de s’identifier clairement lors des manifestations. Jamais signé, le protocole est pourtant invoqué lors des journées de mobilisation, ouvrant la voie à une répression violente de ces dernières.

Arbitraire au nom de « l’urgence nationale »

Une arme cousine du flash-ball français est devenue particulièrement chez les manifestants. Quelques semaines à peine après l’arrivée de Mauricio Macri au pouvoir, en décembre 2015, de nombreuses personnes ont été blessées – dont une gravement, lors d’une grève organisée dans une entreprise avicole, la Cresta Roja, près de Buenos Aires. Les employés réclamaient le versement de leur salaire et la sauvegarde de leurs emplois.

« Avant, l’usage des balles de défense était exceptionnel, maintenant, ilest totalement sauvage », déplore Gaston Chillier, directeur de Centre d’études légales et sociales (CELS). Il critique l’attitude floue du gouvernement, qui augmente la surveillance des forces de l’ordre au nom de la lutte contre le narcotrafic. « Macri n’a jamais présenté de diagnostic du narcotrafic en Argentine. On présente le problème comme s’il s’agissait de la Colombie ou du Mexique des années 1980 ».

Pourtant, dès le mois de janvier 2016, le gouvernement a déclaré l’urgence nationale dans le domaine de la sécurité publique. Sous forme de décret, la mesure proclamée au nom de la lutte contre le trafic de drogue implique la collaboration de la sécurité intérieure et la défense nationale. Alors que le climat social vit une période de turbulences, cette déclaration attribue des pouvoirs élargis aux forces de l’ordre.

Milagro Sala, prisonnière politique

« Cette détention est un message », affirme Gaston Chillier. La militante syndicale et députée au Parlasur Milagro Sala est détenue préventivement dans la province de Jujuy, au nord de l’Argentine, depuis plus de cent jours. Elle avait été arrêtée en février pour « incitation à commettre des délits et des émeutes » alors qu’elle tenait un campement – avec les militants du groupe politico-syndical Tupac Amaru qu’elle dirige – devant la maison du gouvernement provincial.

Depuis, les chefs d’accusation se sont accumulés, et la responsable syndicale est désormais accusée d’avoir détourné les aides de l’État au moment du mandat de l’ancienne présidente Cristina Kirchner. « Nous ne sommes pas contre l’enquête, mais cette détention est illégale », explique Gaston Chillier. Sur fond de règlement de comptes avec les alliés de l’ancienne présidente Cristina Kirchner, la détention de Milagro Sala s’est transformée en symbole de l’arbitraire répressif de l’ère Mauricio Macri.

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