À Sivens, la bataille pour restaurer la zone humide commence

Source: À Sivens, la bataille pour restaurer la zone humide commence

Les travaux de construction d’un barrage dans la zone humide du Testet ont cessé il y a maintenant un an et demi. Les dégâts écologiques commis sont importants. Les associations réclament la restauration environnementale du site. Une mobilisation en faveur de la renaissance de la zone humide est attendue mardi 31 mai à Albi.

- Vallée du Tescou (Tarn), reportage

Poussières de terre, soleil de mai et surtout : du vent. Ainsi nous accueille la vallée du Tescou. La brise autrefois paisible se mue en rafales, en ce printemps 2016, dans ce coin du Tarn. « Autrefois océanique, le climat est en train de devenir méditerranéen », observe Christian Conrad, naturaliste de l’association Apifera. C’est aussi qu’aux abords du Tescou, la rivière, il n’y plus ni arbre ni fourré pour arrêter les bourrasques au travers des quarante hectares de la zone du projet de retenue d’eau de Sivens. Bien des mois ont passé depuis l’arrêt soudain des travaux, en octobre 2014, à la suite de la mort de Rémi Fraisse, tué par une grenade offensive lancée par des gendarmes mobiles.

Pour celle ou celui qui n’est pas familier des lieux, presque rien ne laisse entrevoir la violence qui a eu cours ici. Seules, à quelques mètres, des repousses d’une souche d’arbre en cépée, un improbable cœur formé avec des capsules de grenades vient marquer le lieu de la mort de Rémi Fraisse.

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Le lieu de la mort de Rémi Fraisse.

À cet instant, au loin, s’élève un nuage de poussière. Une voiture arrive en trombe et s’arrête près de nous. En sortent deux gendarmes du peloton d’intervention de Gaillac. « Vous venez voir le mémorial ? » nous-interrogent-t-ils en contrôlant notre identité. À notre demande sur les raisons de leur présence, ils répondent qu’une équipe vient au moins une fois par jour, « pour s’assurer que tout va bien ».

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Les gendarmes s’éloignent en direction de leur voiture.

Or, non ; tout ne va pas « bien », du point de vue de Christian Conrad. Il fut l’un des premiers à découvrir au début des années 2000 la richesse exceptionnelle de la zone humide du Testet. « Sivens restera toujours une défaite », soupire-t-il. Lui-même a été marqué physiquement par cette histoire. Après sa grève de la faim de soixante jours, son corps comme son esprit restèrent tourmentés pendant plus d’un année, avec d’importants problèmes de santé. Ragaillardi, mais toujours en colère devant les dégâts sur l’environnement, il observe : « Le Testet est devenu un milieu ouvert. » De mémoire, il décrit différents points de l’horizon, ici « une mégaphorbiaie », là une prairie humide, ici des bois immergés. Sauf qu’on fait désormais face à quelques mares peu vivantes, un sol par endroits craquelé, desséché et des bords de rivière ravinés depuis l’arrachage des souches d’arbres. Un élément qui fait bondir le naturaliste, car c’est l’une des multiples irrégularités dans le chantier avorté du barrage.

Christian Conrad décrit les malfaçons du chantier.

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Christian Conrad, désolé des dégâts sur l’environnement à Sivens

Au total, près de trois hectares de zone humide auraient été illégalement détruits et un hectare est déjà fortement dégradé. Des malfaçons documentées, photographiées et même parfois constatées par huissier qui ont conduit l’association Nature Midi-Pyrénées a déposer une plainte, le 27 novembre 2014, au tribunal administratif. Plainte classée sans suite le 15 avril dernier, « les faits n’ayant pas pu être clairement établis », selon les juges d’Albi.

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Les rives du Tescou dessouchées et ensablées.

Plus étonnant : le même sort fut réservé à une plainte émanant de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema) qui signalait, en plus des éléments précités, la disparition d’un certain nombre de mesures pourtant en place avant le début du chantier : ornières pour la protection des tritons, refuges pour les couleuvres et frayères pour les poissons. Des éléments pourtant retenus comme conditions essentielles pour déroger à la destruction d’espèces protégées.

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Une mare pauvre en biodiversité.

C’est dans ce contexte que débute depuis janvier un « projet de territoire ». Nouvel avatar de la politique d’irrigation pour les uns, moyens de réaliser enfin une véritable concertation pour les autres, il en est encore à ses prémices. « On a voulu repartir à zéro », explique Thierry Carcenac, président du conseil départemental du Tarn. D’abord, en soldant financièrement (aux frais du contribuable) les dépenses engagées pour les travaux déjà réalisés avant l’abandon du projet initial de barrage : 2,1 millions d’euros en pure perte, 1,4 million pour les dommages environnementaux. « On attend toujours la suite avec impatience », explique Philippe Jougla, président de la FDSEA [1] du Tarn. Selon lui, « les décisions sur le besoin d’eau et la nécessité d’une retenue sur le site avec un déplacement de la digue en amont ont déjà été prises avec le vote du conseil départemental en mars 2015 ».

Ce que confirme à Reporterre Thierry Carcenac : « Les experts avaient conclu à un besoin d’eau, l’objectif du projet de territoire est de faire confirmer par les agriculteurs ces besoins en eau, réviser à la hausse ou à la baisse les positions et dire ce qu’ils comptent faire en matière de cultures pour leurs exploitations. » Car l’élu l’assure, « il y a dans la vallée une autre vision de l’agriculture, raisonnée, qui n’est plus celle de la consommation à outrance d’intrants et d’eau, ce sont des gens qui raisonnent ». Et même en bio ! Mais il fallait d’abord se retrouver autour de la table, avec « des personnes traumatisées des deux côtés ». Si les discussions n’ont pas encore eu lieu, on s’orienterait vers une retenue d’eau localisée à 330 mètres en amont du site initial avec d’un volume diminué de moitié. Objectif : retours des auditions des participants au projet d’ici le mois de juillet pour démarrer en septembre le projet de territoire.

Les mesures de réhabilitation étaient pourtant promises par Ségolène Royal

Problème pour les associations : avant d’envisager tout nouveau projet, il faut réparer les dégâts de l’ancien. Raison pour laquelle, après avoir rencontré le préfet pendant l’hiver, le collectif Testet, l’Upnet et France nature environnement 82 ont posé deux conditions essentielles à leur participation au processus : la réhabilitation de la zone humide mais également la restitution des terres aux deux agriculteurs qui ont été expropriés.

Suite à l’envoi de courriers précisant la position des associations, le ministère de l’Environnement s’est contenté d’une réponse laconique : « La démarche fera l’objet de tout l’intérêt qu’elle mérite. » Les mesures de réhabilitation étaient pourtant promises par Ségolène Royal, la ministre de l’Écologie, qui confiait à plusieurs membres du collectif, lors d’une rencontre en décembre 2014 : « La réhabilitation de la zone humide doit se faire, cela va de soi. » Les experts du ministère eux-mêmes, dans leur rapport de janvier 2015, pourtant rédigé à la hâte, précisaient, dans la liste des mesures à envisager rapidement : « Dans toutes les hypothèses, entreprendre dès que c’est possible la réhabilitation en zone humide de la partie du site de Sivens non impactée par le projet retenu. »

- La mesure est annoncée page 54 du rapport à télécharger ci-dessous :

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Le rapport de janvier 2015 des experts du ministère de l’Écologie.

Au Conseil départemental du Tarn, on assure avoir commencé à travailler sur la remise en état, en aval, avec une étude confiée à Kairos Compensation, proche de la coopérative Rhizobiome. Mais pourquoi attendre pour la remise en état alors que la zone se dégrade de semaine en semaine ? Réponse du Conseil départemental : un problème administratif et foncier. En effet, selon Thierry Carcenac, la procédure ne peut arriver à son terme « tant que le département n’a pas récupéré l’intégralité des terrains et des accords conclus ». Or, la CACG (Compagnie d’aménagement des côteaux de Gascogne), chargée du chantier et de la gestion du projet initial, n’a pas fourni les documents nécessaires à la rétrocession. Avec un salarié en congé maternité et un autre engagé dans un projet à l’étranger, plus personne n’y travaillerait sur le dossier de Sivens. Personne n’a en tout cas souhaité s’exprimer à ce sujet au sein de l’entreprise. La remise en état « se fera donc quand la CACG aura fini de nous transmettre les documents pour conclure ce transfert », conclut M. Carcenac.

Des explications insuffisantes pour le collectif Testet

Reste que les agriculteurs attendent toujours la restitution de leurs terres. Ironie du sort, c’est M. Escande, pourtant farouche partisan du barrage, qui réclame aujourd’hui réparation. En effet, une convention passée en août 2014 prévoyait d’échanger des terres sur l’emprise du barrage contre d’autres, à l’extérieur, avec notamment l’acquisition de la Métairie-Neuve et des parcelles qui l’entourent. Sauf que, depuis, le département a fait détruire la veille ferme pour éviter toute réoccupation par des opposants au barrage. L’agriculteur vient de lancer un appel via son avocat pour obtenir réparation. Son voisin, Pierre Lacoste, a quant à lui perdu quatre hectares depuis l’été 2014, soit 10 % de sa surface totale. Dans une lettre ouverte, la Confédération paysanne du Tarn a elle aussi suspendu sa participation au projet de territoire à la restitution de ces terres.

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Le courrier de la Confédération paysanne au président du conseil départemental du Tarn à propos de Pierre Lacoste.

Là aussi, au Conseil départemental, on renvoie à la CACG et on appelle « chacun à y mettre du sien ». La réponse paraît insuffisante au collectif Testet, qui, un an et demi après les premières interpellations, après de nombreux courriers sans réponse, a décidé désormais d’appeler à nouveau à se mobiliser avec un rassemblement prévu demain, le 31 mai, devant le siège du Conseil départemental du Tarn, à Albi. Objectif : une « casserolade », pour faire du bruit et prévenir : « Si aucune initiative n’est prise par le préfet ou le président du Conseil départemental du Tarn dans les prochaines semaines, le Collectif se verra dans l’obligation d’appeler ses membres et sympathisants à procéder par eux-mêmes à la réhabilitation de la zone humide du Testet et des terres agricoles. Des premiers travaux citoyens auraient alors lieu sur place à Sivens lors d’un week-end fin juin et se poursuivraient, si nécessaire, lors d’un camp d’été au mois d’août. »

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Lettre du collectif Testet au préfet du Tarn au sujet du projet de territoire.

Et comme si cela ne suffisait pas, il ne reste plus qu’un mois avant que le tribunal administratif de Toulouse ne juge enfin sur le fond les recours concernant la destruction d’espèces protégées, la déclaration d’intérêt général, la déclaration d’utilité publique et l’arrêté de défrichement. Des recours qui concernent encore et toujours le projet initial, qui, un an et demi après son arrêt, est encore loin d’appartenir au passé.

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Un fragment de la zone humide du Testet toujours intact aujourd’hui.

Voir en ligne : Le dossier Sivens

[1] Échelon local du syndicat agricole majoritaire, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, FNSEA.

Source : Grégoire Souchay pour Reporterre

Photos : © Grégoire Souchay/Reporterre

 

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