Source: Banlieues Debout : comment s’organise la lutte
BANLIEUES DEBOUT – Lorsque Nuit Debout a vu le jour à Paris, un bon nombre de quartiers populaires et de villes périphériques ont imaginé leur propre agora. D’une part, pour offrir une proximité avec les débats qui enflamment République, et d’autre part pour répondre à l’urgence à laquelle certains de ces quartiers font face. Reportage à Place des Fêtes et à Saint-Denis.
Entre les matches de foot improvisés et le manège de la Place des Fêtes, dans le XIXè arrondissement, une bonne trentaine de personnes s’attroupent en ce samedi soir. La semaine a été longue : annonce du 49-3, motion de censure rejetée, violence policières toujours très vives. Des autocollants en faveur du retrait de la loi El Komhri ornent les piliers et des tracts politiques jonchent le sol du parvis central. Le quartier ne dort pas. Il est même éveillé depuis longtemps.
« La place n’a pas attendu la loi pour se rencontrer et débattre. On avait mis en place une gratiferia (en espagnol, « foire gratuite »), et nous avions déjà organisé des assemblées après les attentats de novembre et après l’annonce de l’état d’urgence » explique Camille, coordinatrice de Place des Fêtes Debout.
A la vue des tracts, on s’inquiète d’une quelconque récupération politique. Mais Camille rassure : « Ici, tout est très horizontal. Il n’y a pas de récupération, et pourtant plusieurs associations s’y sont essayées ». Sans succès, comme le laisse penser le sourire satisfait de l’organisatrice. Mais elle ne nous en dira pas plus, aucun nom ne filtrera. Les Banlieues et Quartiers populaires Debout restent considérablement exposés à ce genre de problème. Les tentatives d’ingérence proviennent tout autant des partis politiques que du milieu associatif, très présent dans les banlieues pour des raisons diverses.
Ce soir-là, l’assemblée fait le point sur la semaine qui s’est écoulée. Le jeudi, une manifestation était partie de la Place des Fêtes. Très vite se pose la question de répéter ce genre d’initiative locale. Pour Camille, il faut « penser global pour agir local ». Pour agrandir son champ d’action, une caisse commune tourne dans l’agora. « On a des projets de théâtre forum et de projections ici » explique un habitué.
Petit à petit, de nouveaux arrivants viennent se greffer à l’agora et prennent la parole. Un homme suggère la création d’un bar associatif à Télégraphe, une station de métro plus loin, qui deviendrait un lieu de rencontres et de réflexions. Mais une habitante du quartier prend le contrepied : « On doit rester Place des Fêtes, c’est un lieu qui bouge, un véritable point de rencontre ». Puis, le débat s’axe sur les mouvements autonomes et les type d’actions locales à mener. Pour ne pas entraver ces projets, Gazette Debout tire le rideau sur la butte de Belleville.
Nuit Debout à Saint-Denis
Une semaine plus tard, sur fond de guerre interposée entre Libération et Le Figaro, dont le magazine titre « Molenbeek-sur-Seine », Gazette Debout se rend à Saint-Denis. Mais hors de question d’évoquer cette une nauséabonde avec qui que ce soit. Il y a beaucoup plus important. Ce samedi, Nuit Debout Saint-Denis délocalise. Elle quitte le parvis de la basilique pour rallier les quartiers Floréal – Saussaie – La Courtille, à l’est de la ville.
Le collectif d’habitant-e-s y organise un débat sur les services publics du secteur, en grande difficulté. En cause notamment, l’école, particulièrement menacée. Ce qui a poussé les parents d’élèves à contester sa gestion depuis près de deux ans. « Comme dans beaucoup de villes du 93, les professeurs ne sont pas remplacés ou remplacés par des personnes n’ayant pas les compétences adéquates, piochées à Pôle Emploi » explique le responsable d’une association locataire du CNL.
« Et puis, il y a des problèmes avec la Poste » ajoute-t-il. « Dans le quartier, c’est une annexe avec des problèmes d’horaires et de service. Il n’y a pas de distribution de timbres, et ils veulent arrêter le service colis pour assurer uniquement le service financier, sûrement dans la perspective d’une fermeture définitive. Or, ici, il y a beaucoup d’habitants qui utilisent la Poste pour faire un mandat pour le paiement de leur loyer ».
Enfin, le quartier pâtit de la faible desserte des transports en commun. Seules deux lignes s’arrêtent à Floréal, Saussie et la Courtille, une zone de près de 8 000 habitants. Sans compter les horaires non respectés, les détours dès qu’il y a un problème en centre ville, comme lors des jours de marché. « Le bus est tout le temps bondé. L’excuse de la RATP, c’est la fraude. Ça les empêcherait de mettre plus de bus en service » explique un habitant. « On a fait une manif le 19 concernant la Poste, on a eu des réunions avec la RATP mais on a l’impression qu’on ne veut pas discuter avec nous ».
Ce samedi, le dialogue, lui, est bien là. Après une réunion avec l’association Sciences Pop’, très active à Saint-Denis, les habitants du quartier rejoignent Nuit Debout. Autour d’un repas comorien, les parents d’élève discutent des modalités d’action pour défendre les écoles de la ville. L’un d’entre eux harangue les troupes, microphone en main, offrant un écho aux tours des environs. Très vite, des nouveaux arrivants se greffent à l’assemblée. « Il faut les faire reculer sur les fermetures de classe », exhorte une habitante sous les applaudissements.
La volonté d’agir localement est commune. Nuit Debout Saint-Denis avait soutenu les habitants du 48, rue de la République , toujours pas relogés depuis l’assaut du RAID, lors de leur occupation de la basilique. « On a aussi mis en place une aire de jeu pour les enfants, et il y a eu des projections de films. Lors de la première Nuit Debout de la ville, on était 400 », explique un des coordinateurs. Ce dernier déplore le manque d’investissement des diverses associations et militants à Saint-Denis. « On ne voit plus les militants du PCF. Ils ne sont pas là pour soutenir les débats comme celui de cet après-midi sur les services publics ».
A ses côtés, un habitant rêve d’un parti révolutionnaire pour remplacer des lignes politiques amorphes à Saint-Denis. Dans les prises de parole des uns et des autres, l’espoir de voir le quartier conserver des services publics décents est là. Banlieues Debout se doit d’être présent pour l’entretenir, alimenter le dialogue et faciliter les actions à venir. Pour ne pas laisser à l’abandon plusieurs milliers d’habitants et des centaines d’élèves en péril.
Antonin Deslandes @AntoDeslandes