Quand le désir de politique passe par le web

Source: Quand le désir de politique passe par le web

20.05.2016 – France Culture

Des associations aux start-up, les Civic tech accompagnent les nouvelles formes d’engagement et de participation politique à l’heure d’Internet.Tour d’horizon des grands principes qui guident les réponses numériques à la crise démocratique.

 Lors d'un rassemblement Nuit Debout à Nancy
Lors d’un rassemblement Nuit Debout à Nancy • Crédits : Alexandre Marchi – Maxppp

En quelques mois on a vu apparaître sur le web des dizaines d’initiatives et d’ applications numériques tournées vers la participation citoyenne et la démocratie ouverte. C’est ce qu’on appelle les « Civic tech ». (Après les biotech ou les fintech -pour la finance).
A Paris, elles ont même leur espace : les 1600 m2 du Liberté Living Lab, un espace ouvert en avril et dédié aux ONG, associations et start-up qui portent ces projets.

Le numérique a ainsi donné corps à de nouvelles formes de mobilisations civiques.

Lire  « Les Civic tech ont un fort potentiel de transformation démocratique », entretien avec Loïc Blondiaux

Les élus commencent à se saisir du numérique pour améliorer la transparence de leur action, renforcer la participation des citoyens. Ce sont les projets d’ouverture des données (l’open data), les consultations citoyennes ( comme celle du Conseil national du numérique (Cnunm) avec la loi Lemaire) ou la  co-construction des lois.

Mais la nouveauté, c’est surtout, à l’autre bout du spectre, la multitude de tentatives pour modifier le système. Soit en améliorant la démocratie représentative elle-même, soit en proposant d’autres manières d’agir.

Que peuvent changer ces Civic tech ? Tour d’horizon des grands principes qui guident les réponses numériques à la crise démocratique :

Peser dans le débat

Avant de donner lieu à des applications dédiées aux enjeux démocratiques, le numérique a commencé par offrir de nouveaux moyens d’interpellation des élus, plus massifs.

Interpeller ses élus.
Inciter son député à voter pour ou contre telle loi, cartographier leurs choix. Ces derniers mois, les votes des lois renseignement, numérique ou encore de l’Etat d’urgence, ont montré la capacité du web à relayer les mobilisations citoyennes. Sur twitter, on a vu se multiplier des interpellations publiques de députés (parfois via des robots qui automatisent l’appel à l’ensemble des élus).
L’association de défense des libertés numériques la Quadrature du net a mis en place le Piphone, un outil « qui permet d’être mis rapidement et gratuitement en relation avec un eurodéputé » ou un député.

• Mobiliser : le succès des pétitions en ligne.
Plus de 1,3 millions de signatures pour la pétition contre la loi El Khomri, le hastag #OnVautMieuxQueCa à la viralité galopante : à partir du mois d’avril, le web a largement nourri la mobilisation dans la rue.

La pétition est à ce jour l’un des dispositifs numériques de participation citoyenne le plus utilisé, souligne le think tank Renaissance numérique dans une étude sur « Vie et engagement politiques sur Internet ». 37% des personnes interrogées ont déjà signé une pétition. Toutefois, « _ces formes de mobilisation ne sont pas perçues comme des moyens effectifs de faire bouger les lignes, plutôt comme un porte-voix pour médiatiser des causes et rassembler », _précise l’étude. Parmi les critiques traditionnelles adressées à ces pratiques : le faible engagement que constituerait un simple clic sur un site.

Les pétitions citoyennes sont aussi un véritable marché, investi par des entreprises comme Change.org
Lire [Pixel] : Pétitions en ligne, le marché des mobilisations

Comprendre et argumenter

Pour favoriser l’implication des citoyens, et renforcer leurs pouvoirs, un certain nombre d’initiatives se consacrent à l’information sur l’action des élus et la transparence.

La Fabrique de la loi propose de suivre l’évolution de la loi au fil de la procédure parlementaire. Un projet développé par l’association [Regards Citoyens](http://Résultats de recherche Regards Citoyens https://www.regardscitoyens.org/) (qui promeut l’ouverture des données parlementaires à des fins démocratiques), et des laboratoires de recherche de Sciences Po.
Quant à  Voxe.org, application qui se présente comme une  « boite à outil du citoyen », elle offre un comparateur de programmes. Lancé pour la présidentielle de 2012, hébergé par des médias, ce dernier a connu un certain succès lors des dernières élections régionales.

Débattre et contribuer

Débattre de manière horizontale, décentralisée : c’est peut-être l’un des aspects qui caractérise le plus les nouvelles formes d’engagement citoyen. Et qui bouscule le plus les partis traditionnels.
Il peut s’agir de favoriser l’échange avec les gouvernants, comme le propose la plateforme Parlement et citoyens. Ou d’organiser le débat entre citoyens. Les commissions Numérique et »Démocratie sur la place » de Nuit debout ont ainsi créé une Assemblée de propositions en ligne.

Une bonne partie de ces projets sont rassemblée dans Démocratie ouverte. Le but de ce « _collectif de transition démocratiqu_e », c’est de  « gagner en pouvoir d’agir, mieux décider ensemble et mettre à jour nos systèmes politiques« .

Les principes de Démocratie ouverte
Les principes de Démocratie ouverte • Crédits : capture d’écran du site de l’association

Faire émerger un candidat

Toute une partie des communautés engagées dans ces initiatives numériques est très critique vis-à-vis du système de démocratie représentative qu’elle juge à bout de souffle. Et elle propose des manières différentes de faire entendre sa voix.

L’objectif de la plateforme Laprimaire.org est ainsi de contourner le système d’investiture adossé à un parti politique et permettre la désignation d’un candidat à la présidentielle. Des phases de consultation et d’élection sont prévues jusqu’à fin 2016, suivies du choix d’un programme et d’un candidat uniques. LaPrimaire.org s’engage alors à soutenir ce candidat pour obtenir auprès des élus les 500 parrainages nécessaires pour se présenter.

Le baron noir vs Ma voix : deux conceptions de la politique
Le baron noir vs Ma voix : deux conceptions de la politique • Crédits : capture d’écran

Quant au mouvement #Mavoix, il mise sur le tirage au sort. Se voulant sans représentant ni porte-parole, il entend défendre pour les législatives de 2017 des candidats qui ne sont pas des professionnels de la politique. Ils seront tirés au sort parmi des volontaires , qui seront formés auparavant. Un candidat a déjà remporté 4,25% des votes lors d’une législative partielle à Strasbourg.

Déléguer son vote – la « démocratie liquide »

« Nous sommes des citoyens du XXIème siècle, faisant de notre mieux pour interagir avec des institutions du XIXème siècle, qui sont basées sur une technologie de l’information du XVème siècle. (…) Il est temps de se demander : qu’est ce que la démocratie à l’ère d’internet » , résumait Pia Mancini lors du Ouishare festival 2015.
Cette co-fondatrice du parti politique argentin Partido de la Red est aussi l’une des trois Argentins à avoir conçu DemocracyOS,  une plateforme open source pour débattre et voter en ligne. Elle cherche à « faciliter la prise de décision politique de manière collaborative« , précise le manifeste en français. Son usage se développe à travers le monde – mais pour l’heure, en France seule #MaVoix l’a utilisée.

« L’élection n’est plus le seul moment de la démocratie. Les citoyens aspirent à une démocratie en continue », souligne Pia Mancini.
Elle fait partie de ceux qui, pour remettre le citoyen au centre des décisions, en appellent à la « démocratie liquide ». Il s’agit d’un modèle hybride entre la démocratie représentative, et un idéal de démocratie directe (où chacun voterait sur tout). En résumé, il s’agit de combiner le recours régulier à des consultations populaires sur des enjeux majeurs. Et la possibilité (quand on le souhaite) de déléguer son vote à quelqu’un autre, qui aurait une meilleure expertise sur le sujet.

Les premiers a avoir tenté de mettre en œuvre cette idée de démocratie liquide, c’est le Parti pirate allemand, au début des années 2000. Ils se sont appuyés sur “Liquid Feedback”, un logiciel libre de partage d’opinion politique et de prise de décision. Il regroupe par thèmes des sujets de débat et invite les utilisateurs à voter. Et permet donc à tous de s’exprimer sur différents sujets.
Parmi les théoriciens qui ont influencé et facilité l’élaboration de ces nouveaux concepts, le sociologue Zigmunt Bauman, auteur de Liquid Modernity est souvent cité. Même si son acception de la « liquéfaction sociale » est avant toute péjorative, pensée comme le règne de l’individualisme forcené. (Les trajectoires des individus deviennent “liquides” : ils changent de métier, de partenaire affectif, de valeurs…). D’autres évoquent les pistes de réformes du système démocratiques développées par le politologue américain Benjamin Barber dans Strong democracy.

Comment mettre à jour la démocratie à l’ère d’Internet? C’était le thème d’une Conférence TED de Pia Mancini

Ecouter : « démocratie liquide » dans l’Alphabet numérique, avec Olivier Tesquet de Télérama

La technologie blockchain

Enfin, la cryptographie et la technologie de la blockchain devrait permettre d’organiser des votes dont il sera impossible de falsifier les résultats.

Lire Pixel : comprendre ce que pourrait changer cette révolution numérique

Catherine Petillon
http://www.franceculture.fr//politique/comment-les-citoyens-se-reapproprient-la-politique-avec-le-numerique#xtor=EPR

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